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Le document suivant a été adopté par la Huitième Conférence internationale de la LCI.

L’effondrement de l’Union soviétique a représenté un changement fondamental dans la situation mondiale. Comme l’existence de l’URSS avait défini la politique de la gauche pendant près de 75 ans, sa destruction exigeait une réévaluation en profondeur de la situation mondiale et des tâches des communistes. Dans les années qui ont suivi ce désastre, la LCI a eu de multiples discussions et publié des documents substantiels ayant précisément cet objectif : le document de la Conférence internationale de 1992, le document de la Conférence de la SL/U.S. de 1994, le mémorandum du CEI de 1996 et la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » (DIP) de 1998. Ces documents sont cohérents dans leur analyse des événements mondiaux et dans les tâches qu’ils définissaient pour le parti. Cependant, loin de représenter une défense du marxisme dans les premières années de l’ère postsoviétique, ils sont fondamentalement révisionnistes. Les tâches que le parti se fixait oscillaient entre un programme minimum purement libéral et un programme maximum consistant à préserver les formules marxistes abstraites pour le futur. Parfois explicitement, mais le plus souvent implicitement, tous ces documents niaient que le programme communiste puisse jouer un rôle décisif dans les luttes de la période actuelle.

La situation mondiale

Si le marxisme peut guider la classe ouvrière dans ses luttes, c’est parce qu’il se base sur une compréhension scientifique des intérêts à la fois immédiats et historiques de cette classe. Un parti qui se dit marxiste mais qui n’a pas une évaluation politique et économique correcte d’une période donnée ne peut pas guider la classe ouvrière selon ses intérêts de classe. Si un parti ne part pas d’une base matérialiste, les tâches qu’il se fixera et qu’il fixera au prolétariat refléteront nécessairement les intérêts d’autres classes.

Notre compréhension de l’époque postsoviétique était erronée sur pratiquement tous les plans, à commencer par la manière dont nous décrivions la situation internationale. L’effondrement de l’Union soviétique a marqué le triomphe de l’impérialisme américain et a ouvert une période de relative stabilité géopolitique où les puissances impérialistes pillaient le monde de concert à l’ombre de l’hégémonie américaine. La LCI, en revanche, affirmait :

« La fin de la guerre froide n’amènera pas un nouveau “siècle américain”, mais une intensification des rivalités interimpérialistes. Le système mondial de “libre échange” – le ciment économique qui maintenait la cohésion de l’alliance antisoviétique dominée par les USA – s’écroule, les grandes puissances capitalistes cherchant à rediviser le monde en blocs commerciaux régionaux. »

– « Pour le communisme de Lénine et Trotsky ! », Spartacist édition en français no 27, été 1993

Cette analyse était en totale contradiction avec ce qui se passait dans le monde, mais la LCI a continué à la défendre pendant toute cette période, y compris dans la DIP :

« Mais les impérialismes rivaux, allemand et japonais en particulier, qui ne sont plus retenus par l’unité antisoviétique, se ruent pour satisfaire leur soif de contrôle sur les marchés mondiaux en même temps qu’ils développent leur puissance militaire. On voit, dans les conflits opposant les blocs commerciaux régionaux rivaux, se préciser les alignements de futures guerres. »

–  Spartacist édition en français no 32, printemps 1998

Cette analyse totalement erronée ne provient pas d’un manque de connaissance des faits ou de la complexité de la dynamique politique de l’époque mais de la manière dont la LCI concevait ses tâches. Dans les centaines de pages où étaient définies les tâches de la LCI, nous n’avons nulle part démontré que le programme marxiste apporte les réponses essentielles à la situation politique et économique à laquelle la classe ouvrière est confrontée dans la période postsoviétique. Qu’il s’agisse des grèves en France, de la situation en Allemagne après la contre-révolution ou du soulèvement paysan du Chiapas au Mexique, nous décrivions les événements sans jamais démontrer que ce qui est décisif, c’est une direction trotskyste. Nous l’avons certes affirmé, mais ces affirmations se greffaient simplement sur les événements au lieu de découler de la description des luttes elles-mêmes, dont chaque tournant mettait en évidence le conflit entre les intérêts de classe du prolétariat et le programme de sa direction. La LCI répondait au contraire à la vague de triomphalisme libéral et au défaitisme de la gauche en proclamant que « le communisme vit dans les luttes des travailleurs et dans le programme de son avant-garde révolutionnaire ». Cela transformait le marxisme, un programme scientifique pour guider la classe ouvrière sur la voie du pouvoir, en un esprit de rébellion idéaliste.

Partant de là, l’analyse que la LCI faisait de la situation mondiale dissimulait forcément les contradictions de la période postsoviétique et versait dans l’impressionnisme et la dénonciation libérale, comme dans le document de la conférence de 1992 :

« Que ce soit en Amérique latine, accablée par une dette auprès des impérialistes de 450 milliards de dollars (plus de 1 000 dollars pour chaque homme, femme ou enfant) et où 183 millions de personnes vivent officiellement dans une pauvreté abjecte, où les conditions sanitaires et celles de la santé publique sont si épouvantables que le choléra, une maladie pratiquement éradiquée au début du siècle, a frappé 400 000 personnes et en a tué 20 000 en un an et demi, dans un continent avec 20 millions d’enfants sans abri ; que ce soit dans un “tiers monde” où 40 000 enfants meurent de faim chaque jour, et enfin dans un monde où quelque 10 millions de personnes ont été infectées par le virus mortel du sida – la situation réclame à cor et à cri une révolution socialiste. »

Certes, les conditions de vie sous le capitalisme sont brutales, mais dénoncer cette réalité n’est pas une base suffisante pour motiver la nécessité d’une révolution sociale. Les données empiriques montrant la misère humaine peuvent être contrées par des données empiriques montrant le progrès social – en particulier dans les années 1990 et 2000. La différence entre une brochure de l’UNICEF et le programme communiste, c’est que la première présente des faits qui susciteront l’indignation des libéraux tandis que le second explique la dynamique entre les classes qui sous-tend les événements dans le monde pour guider la classe ouvrière dans sa lutte pour renverser l’impérialisme. Comme la méthode et l’objectif du programme de la LCI étaient plus proches de la brochure de l’UNICEF que du programme communiste, notre analyse du monde ne faisait que réfracter l’idéologie dominante à travers un prisme marxisant. Il en résultait une compréhension du monde totalement déconnectée de la réalité et une capitulation devant le libéralisme.

Le libéralisme : un tigre de papier

La victoire de l’impérialisme américain sur l’Union soviétique s’est exprimée idéologiquement sous la forme du triomphalisme libéral. Le libéralisme est devenu l’idéologie dominante dans le monde entier et a exercé une pression énorme sur le mouvement ouvrier. La LCI a reconnu dès 1992 que le triomphe du libéralisme représentait une menace, mais seulement pour la rejeter d’un revers de main comme si elle était insignifiante :

« La publication par un idéologue du Département d’État US, Francis Fukuyama, en 1989, d’un article intitulé “La fin de l’histoire ?” montrait à quel point les impérialistes américains étaient intoxiqués par l’illusion [!] de leur puissance. Au milieu des proclamations de la “victoire” de l’Occident capitaliste dans la guerre froide, Fukuyama argumentait que la “démocratie libérale” constituait le “point final de l’évolution idéologique du genre humain” et la “forme achevée de gouvernement humain”. Ce triomphalisme “démocratique bourgeois” béat s’est depuis largement dissipé » (souligné par nous).

– Document de la Conférence internationale de 1992

La LCI présentait au contraire le monde comme s’il était défini par la réaction de droite :

« Cette défaite historique du prolétariat à l’échelle mondiale a entraîné l’intensification et la réactivation des rivalités interimpérialistes, des bains de sang nationalistes, des attaques tous azimuts contre la classe ouvrière, la résurgence de mouvements politiques fascistes, une frénésie anti-immigrés, des attaques contre les droits des femmes et une montée en flèche de l’obscurantisme réactionnaire. »

– Document de la Conférence de la SL/U.S., Spartacist édition en anglais no 51, automne 1994

De cela, et de tout ce qu’a écrit notre tendance à cette époque, on pourrait conclure que le principal obstacle auquel nous étions confrontés dans le mouvement ouvrier était la réaction chauvine, un peu comme en Europe dans les années 1930. En conséquence, la LCI se fixait pour tâche de confronter la réaction et l’arriération et nous nous présentions comme si nous étions absolument les seuls à le faire :

« L’accent que nous mettons sur la lutte contre l’oppression des femmes […], notre défense des immigrés, notre combat contre l’homophobie et l’antisémitisme sont des qualités singulières qui définissent la LCI dans le monde actuel. »

–« Mémorandum de tâches et perspectives pour discussion au CEI », Internal Bulletin no 38 (deuxième édition), juillet 1996

Il y avait là de quoi être désorienté, c’est le moins qu’on puisse dire.

En affirmant que le monde était dans une période sombre de réaction chauvine où seule la LCI défendait les droits démocratiques, nous pouvions présenter des revendications libérales élémentaires comme si elles étaient en soi révolutionnaires :

« Contre le nationalisme, le chauvinisme et l’intégrisme religieux, nous combattons pour le droit à des soins médicaux décents et à une éducation de qualité, pour l’avortement gratuit et sans danger, pour des techniques avancées de contrôle des naissances comme la pilule RU 486 ; pour l’abolition de la barbarie qu’est la peine de mort ; contre l’imposition du voile ; contre le poison de l’antisémitisme et du racisme ; pour le droit de ceux qui sont entrés dans un pays autre que celui de leur naissance à y rester, à y travailler et à y mener une vie décente, avec les pleins droits de citoyenneté. Il est ironique que ce soit uniquement nous – les communistes – qui soyons déterminés par principe à défendre ces droits, en sachant qu’ils ne se divisent pas. Nous devons gagner les masses à ces luttes. »

– Document de la Conférence internationale de 1992

Mais pourquoi les masses rejoindraient-elles une petite organisation communiste pour défendre l’avortement ou lutter contre le racisme alors qu’il existe des mouvements de masse et des partis bourgeois qui prétendent défendre ces mêmes principes libéraux ? La seule façon de convaincre les opprimés de suivre une direction communiste est de montrer comment leur direction actuelle – en l’occurrence les libéraux – paralyse et sape leur lutte à chaque instant parce qu’elle soutient loyalement le capitalisme. Mais pour cela il fallait lutter contre le libéralisme ! Comme la LCI ne reconnaissait même pas que le libéralisme était une force à prendre en considération – la DIP de 1998 n’en parle nulle part –, non seulement elle n’a pas construit de pôle communiste dans les diverses luttes de l’époque, elle a totalement capitulé devant les directions libérales et s’est mise à leur remorque. Dans la mesure où les divers documents programmatiques de la LCI dans la période postsoviétique préconisent des interventions spécifiques dans le monde, il s’agit généralement d’activisme libéral ou d’économisme syndical.

Le jargon marxiste et l’avenir communiste

On aurait toutefois tort d’affirmer que dans la période postsoviétique la LCI était simplement libérale. La LCI ne définissait pas seulement son rôle sur la base d’un programme minimal de libéralisme ; elle aspirait également à un rôle de dimension plus historique consistant à transmettre le programme communiste aux générations futures. La DIP décrit ainsi cette perspective :

« Notre tâche immédiate est de former et d’entraîner des cadres ; de recruter les couches les plus avancées de la classe ouvrière et de la jeunesse à l’entièreté de notre programme en expliquant nos positions et en les contrastant de manière tranchante à celles de nos opposants centristes. »

Mais qu’entendait la LCI par « l’entièreté de notre programme » ? Dans le même mémorandum du CEI qui prétendait que la LCI était la seule à s’opposer à l’homophobie, nous réaffirmons comme suit la nécessité d’une intervention communiste :

« Même en tant que petits groupes de propagande de combat, les sections de la LCI incarnent le programme révolutionnaire. C’est notre rôle d’intervenir avec ce programme, de fournir une direction révolutionnaire. Particulièrement dans une période caractérisée par des luttes défensives contre les attaques de la bourgeoisie et par un scepticisme compréhensible de la classe ouvrière à l’égard des partis et du marxisme, il est vital de lutter pour un programme de revendications transitoires conduisant inéluctablement le prolétariat à une seule conclusion : la nécessité d’une révolution socialiste. Le parti est l’instrument permettant de gagner les travailleurs à cette conscience. Céder le terrain à des forces non prolétariennes en liquidant de façon économiste la question du parti ou en se mettant à la remorque d’autres courants, ou à l’inverse adopter une position d’abstentionnisme stérile ou de propagandisme abstrait, c’est renoncer à notre raison d’être. »

Ces réaffirmations de principes communistes abstraits sont monnaie courante dans la propagande de la LCI. Bien que chaque phrase ci-dessus soit formellement de l’orthodoxie marxiste, le paragraphe est entièrement abstrait et ne donne aucune indication des obstacles politiques qui empêchent de mener la classe ouvrière à une conscience révolutionnaire. La question de la direction révolutionnaire ne peut se poser que concrètement, en opposition au programme et à l’idéologie des forces dominantes dans le mouvement ouvrier. Mais puisque la LCI n’y reconnaissait pas l’emprise du libéralisme, nous pouvions avancer autant de « revendications transitoires » que nous voulions, cela n’allait pas conduire la classe ouvrière à la conscience révolutionnaire.

Cette oscillation entre l’activisme libéral et le jargon maximaliste a défini le travail de la LCI tout au long des 30 dernières années. Lorsque le parti capitulait de manière trop flagrante au libéralisme, il se repliait généralement sur une réaffirmation sectaire des objectifs et de la vision du monde du communisme. Cette tendance était déjà présente dans le document de la Conférence internationale de 1992 :

« Pour régénérer un mouvement communiste international, il ne suffit pas de dénoncer les crimes et les trahisons historiques du stalinisme, la paupérisation mondiale qu’amène le capitalisme-impérialisme et le danger d’une guerre mondiale nucléaire. Il est aussi nécessaire d’insister à nouveau sur les objectifs libérateurs du communisme, comme constituant l’aboutissement de l’humanisme rationnel des Lumières – l’intégration de l’humanité à l’échelle mondiale, la conquête de l’égalité sociale et sexuelle, et la liberté pour tous les individus de maximiser leurs possibilités, sur la base du contrôle collectif de l’humanité sur les forces de la nature. »

Cette déclaration résume très clairement la perspective de la LCI après l’effondrement de l’Union soviétique. Nous cherchions à « régénérer » le mouvement communiste en exposant la faillite du stalinisme et les horreurs du capitalisme et en prêchant les joies de l’avenir communiste. Mais déconnectés de la lutte contre les obstacles réels auxquels la classe ouvrière est confrontée aujourd’hui, les principes communistes que nous réaffirmions, même les plus radicaux, n’étaient que des utopies libérales.

Le GI et la LCI : Deux satellites dans l’orbite du libéralisme

La scission la plus importante dans l’histoire de la LCI est celle qui a conduit à la création du Groupe internationaliste (GI) en 1996. Il est de ce fait important d’évaluer si le GI représente la continuité révolutionnaire du marxisme face au révisionnisme de la LCI dans la période postsoviétique. Dans l’un des documents fondateurs du GI, « D’une dérive vers l’abstentionnisme à la désertion de la lutte des classes » (publié en anglais en juillet 1996 dans une brochure portant le même titre), Jan Norden, ancien rédacteur en chef de Workers Vanguard, et Marjorie Stamberg, cadre de longue date de la SL/U.S., formulent la critique suivante à l’égard de la LCI :

« En gros, il y a eu une tendance de plus en plus prononcée vers un propagandisme abstrait ou passif séparant la propagande du parti de l’intervention active dans la lutte des classes […]. Cette politique est justifiée par l’argument que puisque nous sommes dans une période réactionnaire, on ne peut pas parvenir à grand-chose ; que si l’on perçoit des occasions d’intervenir elles sont illusoires et donc on est opportuniste ; et que le travail des marxistes révolutionnaires consiste (ou se limite) à entretenir la flamme contre les tentatives de l’éteindre. »

Dans l’ensemble, c’était vrai. La LCI n’a pas entièrement cessé d’intervenir dans la lutte des classes – ce que le GI lui-même reconnaissait – mais, dans les luttes avec Norden et plus tard avec le GI, la LCI a essentiellement soutenu que l’intervention communiste ne pouvait pas jouer de rôle décisif dans le cours actuel des événements en raison de la « régression de la conscience » dans la période postsoviétique.

En voici un exemple, qui était au centre de la lutte de 1995-1996 avec Norden : la LCI prétendait que toute « perspective de regroupement » avec la Plateforme communiste (KPF) – un groupe au sein du PDS, le résidu du parti stalinien qui avait dirigé l’Allemagne de l’Est (RDA) – était en soi opportuniste. En 1995, le PDS épousait ouvertement la social-démocratie alors qu’il subissait une féroce chasse aux sorcières anticommuniste menée par la bourgeoisie allemande. Dans ce contexte, il était tout à fait concevable de pouvoir gagner les éléments les plus à gauche du PDS au trotskysme, seul programme capable de combattre la réaction capitaliste. Peu importe la probabilité d’un tel scénario, il était du devoir des révolutionnaires de lutter aussi vaillamment que possible contre la consolidation de ce qui allait devenir quelques années plus tard Die Linke (Parti de gauche), en ralliant ses meilleurs éléments à un programme révolutionnaire et en poussant les autres vers une liquidation directe dans le SPD (Parti social-démocrate allemand). Notre rejet de toute perspective envers la KPF était une trahison sectaire. Quant à la lutte menée contre Norden sur cette question, elle était démagogique et fausse.

La bataille se focalisait sur la présentation que Norden avait faite en janvier 1995 à l’université de Humboldt à Berlin devant un auditoire de la KPF. Dans l’article justifiant l’expulsion de Norden et de ses partisans, la LCI affirmait que dans son discours, « tout en invoquant le programme du trotskysme, Norden a présenté un point de vue liquidationniste niant le rôle de la LCI en tant qu’avant-garde révolutionnaire consciente ; il a affirmé à plusieurs reprises qu’en Allemagne en 1989-1990 “il manquait l’élément clé, la direction révolutionnaire” » (« Une défection hypocrite du trotskysme », Workers Vanguard no 648, 5 juillet 1996). En fait, le discours de Norden ne niait pas le rôle joué par la LCI en RDA, et il est vrai que l’élément manquant en 1989-1990 était la direction révolutionnaire. La LCI a lutté de toutes ses forces pour la direction de la classe ouvrière pendant la brève ouverture que nous avions, mais notre tentative a échoué et la contre-révolution l’a emporté. De nombreuses autres accusations ont été formulées selon lesquelles la présentation conciliait le stalinisme ; toutes étaient basées sur des formulations spécifiques qui n’étaient pas en soi contraires à nos principes.

Les attaques contre le discours de Norden de 1995 étaient fallacieuses, mais cela ne signifie pas pour autant que son contenu était principiel, ni non plus l’orientation envers la KPF poursuivie par notre section allemande sous sa direction. Le vrai problème du discours de Norden c’est qu’il ne contient pas un seul argument expliquant pourquoi le trotskysme était nécessaire en 1995. Il était correct de chercher à gagner des éléments de la KPF au trotskysme – le fait même qu’ils aient assisté à un discours du rédacteur en chef de Workers Vanguard en témoigne. Mais pour ce faire, il ne suffisait pas de parler des hauts faits passés de la LCI, il fallait les lier à la lutte pour une direction révolutionnaire dans l’Allemagne impérialiste réunifiée. Il n’était important d’insister sur le trotskysme contre le stalinisme en 1989 que dans la mesure où on utilisait cela pour motiver le trotskysme contre la social-démocratie en 1995. Mais ce n’était pas la perspective de la présentation parce que ce n’était pas la perspective de la LCI. La LCI ne pouvait pas expliquer pourquoi le trotskysme avait une importance qualitative dans les luttes de l’Allemagne postsoviétique, et Norden non plus.

Loin de s’opposer à la perspective de la LCI dans les premières années qui ont suivi la contre-révolution, Norden et plus tard le GI étaient d’accord avec ses lignes fondamentales ; ils ont toujours insisté sur ce point, et c’était la vérité. Norden a joué un rôle central dans la rédaction du document de la Conférence internationale de 1992 et le GI considère que ce document fait autorité. Les cadres fondateurs du GI ont voté en faveur du document de la conférence de la SL/U.S. de 1994. Pour ce qui est du mémorandum du CEI de 1996, Norden ne s’est opposé qu’aux quatre paragraphes concernant la lutte contre lui en Allemagne. Il qualifiait le reste du document de « très bon dans sa description de la période qui a suivi les énormes défaites qu’a représentées pour la classe ouvrière la contre-révolution en Union soviétique et en Europe de l’Est » (cité dans « La période postsoviétique : Offensive bourgeoise et luttes de classes acharnées », dans sa brochure de juillet 1996). Ce sont ces mêmes documents qui décrivent les tâches et perspectives révisionnistes de la LCI exposées ci-dessus. On peut retracer à ces documents l’origine de toutes les erreurs opportunistes et stupidités sectaires de la LCI de ces trente dernières années.

Ainsi, l’article lançant le journal du GI reprenait les principaux éléments de l’analyse du monde totalement fausse de la LCI :

« La contre-révolution qui a détruit l’Union soviétique a été une défaite historique pour la classe ouvrière mondiale. Mais le triomphalisme bourgeois qui a suivi commence déjà à se dissiper. Ce qui a émergé, ce n’est pas un nouvel ordre mondial dominé par une seule “superpuissance”, mais un désordre croissant fait de conflits nationalistes sanglants, de rivalités impérialistes et d’explosions successives de lutte de classe acharnée. »

– « Présentation de The Internationalist », janvier-février 1997

Le GI prétend avoir maintenu la lutte pour la direction révolutionnaire contre la LCI, mais la vérité c’est que lorsqu’il s’agissait de savoir comment cela se posait concrètement dans la période postsoviétique, ils étaient tout aussi désorientés que nous.

Le problème n’est pas que le GI s’attendait à des luttes de classes acharnées après la chute de l’Union soviétique. La lutte des classes n’a pas cessé en 1991, et il y a eu des luttes importantes dans le monde qui ont fourni des occasions importantes pour l’intervention communiste (Afrique du Sud 1994, Italie 1994, France 1995, Mexique 1999, etc.). La question centrale pour les communistes c’est le contenu politique de ces interventions. Alors que la LCI avait tendance à se replier sur elle-même et à rejeter les tactiques et les revendications transitoires, le GI soulevait des revendications « transitoires » qui ne contribuaient pas à créer une brèche entre la classe ouvrière et ses dirigeants opportunistes. Une « intervention active dans la lutte des classes » n’est pas révolutionnaire si elle n’aide pas la classe ouvrière à surmonter les obstacles qui se dressent sur son chemin. Et malgré leurs penchants différents, ni le GI ni la LCI n’avaient de réponse au libéralisme alors que c’était l’idéologie dominante au niveau international et le principal obstacle politique auquel ils étaient confrontés dans le mouvement ouvrier. Bref, ni l’un ni l’autre n’offrait une direction révolutionnaire.

Beaucoup des divergences les plus importantes entre la LCI et le GI ont porté sur des pays victimes d’oppression nationale : Brésil, Mexique, Porto Rico, Haïti, Bolivie, Grèce, Québec. Le GI a eu raison de dénoncer certaines des trahisons les plus flagrantes de la LCI à l’égard de ces pays (trahison concernant Haïti en 2010, refus de lutter pour l’indépendance de Porto Rico, etc.) mais il défend toujours le programme historique de la LCI qui est la source de ces capitulations (voir « En défense de la révolution permanente », page 72). Le GI, tout comme la LCI dans le passé, s’oppose au nationalisme bourgeois dans les nations opprimées sur la base d’une pureté de classe sectaire au lieu de chercher à briser son emprise sur les masses en montrant qu’il est un obstacle à la fois à la libération sociale et à la libération nationale. C’est une approche totalement opposée à la théorie trotskyste de la révolution permanente. Elle rejette le combat pour une direction révolutionnaire des luttes démocratiques et conduit nécessairement à la capitulation chauvine.

La LCI et le GI ont passé près de trois décennies à polémiquer l’un contre l’autre en coupant les cheveux en quatre et en se calomniant mutuellement, alors que nous étions sur des voies fondamentalement parallèles. Cela a fait obstacle à la clarté politique au sein du mouvement ouvrier international. La lutte menée contre les cadres fondateurs du GI en 1995-1996 n’était pas principielle politiquement. En ce qui concerne les mesures organisationnelles prises à l’encontre de ces anciens membres, il faut rétablir les faits. Une enquête en bonne et due forme s’impose. Il faut également rendre des comptes sur la question de la rupture unilatérale par la LCI de ses relations fraternelles avec Luta Metalúrgica/Liga Quarta-Internacionalista do Brasil (LM/LQB). Ces relations fraternelles étaient inextricablement liées aux luttes fractionnelles internes de la LCI et notre article justifiant notre rupture avec LM/LQB ne fournissait aucune base politique légitime pour justifier notre action (« Rupture des relations fraternelles avec Luta Metalúrgica », Le Bolchévik no 140, automne 1996).

La LCI s’engage à rompre le statu quo, à mener une clarification et un débat politiques sérieux avec le GI et à prendre part autant que possible à des actions communes pour défendre les intérêts élémentaires du mouvement ouvrier. Malgré d’importantes divergences programmatiques, la LCI et le GI sont relativement proches sur de nombreuses questions. Sur la question cruciale de la Chine, les deux tendances sont presque les seules à défendre inconditionnellement l’État ouvrier et à appeler à la révolution politique. Comme le reconnaissent les deux tendances, nous entrons dans une période de tourmente et de conflits intenses dans le monde. Le cours des événements et des luttes ne manquera pas de secouer la gauche, et il est du devoir des deux organisations de se battre pour la clarté politique sur les questions de stratégie révolutionnaire dans cette nouvelle période. La lutte pour reforger la IVe Internationale est plus urgente que jamais. Elle ne peut tolérer les dissimulations, la démagogie, la calomnie ou le sectarisme. Comme l’a écrit Trotsky dans le Programme de transition (1938) :

« Regarder la réalité en face ; ne pas chercher la ligne de moindre résistance ; appeler les choses par leur nom ; dire la vérité aux masses, quelque amère qu’elle soit ; ne pas craindre les obstacles ; être ceux sur qui on peut compter dans les petites choses comme dans les grandes ; s’appuyer sur la logique de la lutte de classe ; oser, quand vient l’heure de l’action : voilà sur quoi se règle la IVe Internationale. »

Comment expliquer la dégénérescence de la LCI ?

Avec la destruction de l’Union soviétique, la LCI devait faire un tournant majeur. Lors de l’effondrement définitif de la RDA et de l’Union soviétique les meilleures qualités de la LCI étaient en évidence : défense acharnée de l’Union soviétique, détermination révolutionnaire, internationalisme et flexibilité tactique dans l’action. Mais la période qui a suivi a fait ressortir nos faiblesses : refus de s’attaquer au libéralisme, révision de la révolution permanente, américanocentrisme et rigidité doctrinale. La LCI était une minuscule Internationale concentrée dans des pays impérialistes et notre croissance s’était déjà ralentie depuis quelques années. La contre-révolution a entraîné une vague de démoralisation et le parti a craqué sous la pression de cette nouvelle période. Le fait est qu’il n’a pas été en mesure d’effectuer le virage qui s’imposait.

Ce n’était ni couru d’avance ni irréversible. Il y a eu ces trente dernières années de nombreuses occasions de bifurquer qui auraient dû conduire à une réévaluation en profondeur de la trajectoire de la LCI. Ce n’était un secret pour personne que nous étions de plus en plus désorientés. Mais plus les années passaient, plus le conservatisme et l’opportunisme s’enracinaient. Les cadres historiques du parti se sont révélés incapables de corriger notre trajectoire.

Pourtant la LCI n’était pas morte. Malgré des décennies passées à rejeter la tâche de fournir une direction révolutionnaire, le parti a tout de même réussi à recruter à travers le monde quelques poignées de cadres profondément dévoués à la lutte pour le communisme et attirés à la LCI par son passé révolutionnaire. Il a fallu une pandémie mondiale, l’effondrement de l’organisation et trois années de batailles, mais les événements ont montré qu’il y avait encore suffisamment de fibre révolutionnaire dans la LCI – y compris chez certains vieux routiers tenaces – pour réorienter fondamentalement le parti et s’engager à nouveau sur le chemin ardu de la lutte révolutionnaire.