QR Code
https://iclfi.org/pubs/lb/233/mexique

La motion suivante a été approuvée en avril dernier par la Neuvième Conférence nationale du Grupo Espartaquista de México, section de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste), et publiée dans El Antiimperialista n° 1 (mai 2023).

Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, la lutte pour l’émancipation nationale contre l’impérialisme n’est pas simplement un aspect supplémentaire du programme révolutionnaire ; c’est la question stratégique fondamentale pour la révolution. Cependant, le programme du Grupo Espartaquista de México (GEM) depuis sa fondation a été à l’opposé : une capitulation devant l’impérialisme américain, sur la base que la tâche principale et l’objectif stratégique des marxistes, dans un pays pillé et dévasté par la prédation impérialiste, est la lutte contre le nationalisme bourgeois, et que l’ennemi principal est la bourgeoisie mexicaine. Fondamentalement, en niant que tout le pays, y compris la bourgeoisie nationale, est opprimé par les impérialistes et en rejetant la nature stratégique de la lutte pour la libération nationale, on prenait parti pour l’impérialisme. Cette ligne, made in USA et imposée au GEM, signifiai répudier absolument la révolution permanente trotskyste au service du social-chauvinisme. Comme l’expliquait Trotsky :

« Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, le régime intérieur a un caractère principalement bourgeois. Mais la pression de l’impérialisme étranger change et altère tellement la structure économique et politique de ces pays que la bourgeoisie nationale – même dans les pays politiquement indépendants d’Amérique du Sud – n’arrive que partiellement à la hauteur de classe dirigeante. La pression de l’impérialisme sur les pays arriérés ne change pas en vérité, leur caractère social fondamental, car le sujet et l’objet de la pression ne représentent que des niveaux différents du développement d’une seule et même société bourgeoise. Néanmoins la différence entre l’Angleterre et l’Inde, le Japon et la Chine, les États-Unis et le Mexique est si grande que nous établissons une distinction rigoureuse entre pays bourgeois oppresseurs et opprimés, et que nous considérons de notre devoir de soutenir les seconds contre les premiers. La bourgeoisie des pays coloniaux et semi-coloniaux constitue une classe à demi dirigeante à demi opprimée. »

– « Un État non ouvrier et non bourgeois ? » (novembre 1937)

La ligne d’Espartaco imposait nécessairement de répudier la distinction léniniste entre les nations opprimées et les nations oppressives, et donc de répudier la distinction entre le nationalisme des oppresseurs et le nationalisme des opprimés, qui est un reflet idéologique de l’oppression et de l’humiliation quotidienne par les impérialistes. Il est profondément réactionnaire de nier cette distinction. Dans les pays opprimés, le nationalisme a un caractère progressiste dans la mesure où il pousse les masses laborieuses à lutter contre l’impérialisme ; il a aussi un caractère réactionnaire dans la mesure où il est utilisé pour subordonner ces masses à la bourgeoisie nationale populiste, comme si elle était le seul combattant pour la libération nationale. Mais nous avons dénoncé toute manifestation de résistance à l’impérialisme comme une déviation nationaliste bourgeoise de la lutte pour la dictature du prolétariat. De manière centriste, nous brandissions des formules apparemment orthodoxes, telles que « l’internationalisme prolétarien » et la « dictature de la classe ouvrière », pour asséner des coups de bélier au nationalisme des opprimés, trahissant leurs aspirations nationales et renonçant, en fait, à la lutte anti-impérialiste.

Cela signifie, en dernière analyse, renoncer à la révolution. C’est du menchévisme masqué par de la phraséologie rouge : partant de la proposition que l’État-nation dans toutes ses manifestations est réactionnaire, que nous luttions pour le socialisme mondial, nous cédions de manière parfaitement naturelle la direction de la lutte anti-impérialiste à la bourgeoisie nationale, capitulant ainsi aussi devant le populisme. Ceci est complètement opposé au trotskysme :

« [L]a section mexicaine de la IVe Internationale est en compétition avec la bourgeoisie nationale devant les ouvriers, devant les paysans. Nous sommes perpétuellement en compétition avec la bourgeoisie nationale, en tant qu’unique direction capable d’assurer la victoire des masses dans le combat contre les impérialistes étrangers. »

–L. Trotsky, « Discussion sur l’Amérique latine » (novembre 1938)

En 2002, à la demande pressante de Jim Robertson, nous avons répudié pour le Mexique le slogan selon lequel « l’ennemi principal est dans notre propre pays », mais le contenu de cette lutte était de défendre l’essence de ce slogan. Lorsque notre regretté camarade Ed C. fit l’affirmation allant de soi qu’au Mexique « la tâche principale » consiste à « diriger la nation dans la lutte contre la domination impérialiste », la direction de l’Internationale, en particulier aux États-Unis, s’insurgea contre lui. Comme pour symboliser le caractère social-impérialiste de la ligne de la LCI, ce fut le bureau politique de la SL/U.S. qui codifia cette lutte par une motion déclarant : « En ce qui concerne le Mexique, un parti ouvrier qui ne soit pas guidé par une perspective révolutionnaire internationaliste et prolétarienne mais qui se pose comme tâche principale de “diriger la nation dans la lutte contre la domination impérialiste” serait un parti qui refuserait de réaliser son programme révolutionnaire, c’est-à-dire qu’il serait au moins tacitement menchévique. » Qui sont les menchéviks ? Contrairement à cette affirmation du BP de la SL/U.S., la lutte contre l’impérialisme signifie la lutte constante et prolongée pour arracher la direction des masses ouvrières et paysannes des mains de la bourgeoisie, la lutte pour démontrer concrètement que nous ne sommes pas seulement les meilleurs mais, en fait, les seuls combattants conséquents pour la libération nationale en dénonçant à chaque pas les hésitations et les capitulations de la bourgeoisie nationale. C’est le seul moyen de briser l’influence du populisme et du nationalisme bourgeois sur les masses laborieuses mexicaines.

Les articles « Une analyse marxiste de la Révolution mexicaine de 1910 » (Espartaco n° 12, printemps-été 1999) et « Rompez avec tous les partis bourgeois : PRI, PAN, PRD ! » (Espartaco n° ١٤, automne-hiver 2000), considérés comme des documents fondateurs de la section, crachent sur les aspirations des masses à l’émancipation nationale et présentent la Révolution mexicaine comme un déchaînement réactionnaire. L’article d’Espartaco n° 12 affirme que « le nationalisme fomenté par la bourgeoisie – qui cherche à lier les exploités à leurs exploiteurs – enivre les masses » ; il dénigre même l’Indépendance du Mexique comme un événement qui « avait une odeur distinctive de contre-révolution » et il dénonce la répartition de la terre par Lázaro Cárdenas [président du Mexique de 1934 à 1940] comme « une manière de désamorcer les luttes ouvrières en donnant un lopin de terre pour que les ouvriers mécontents deviennent de petits paysans propriétaires ».

L’article d’Espartaco n° 14 déclare : « Depuis la Révolution mexicaine, la bourgeoisie utilise le nationalisme, l’anticléricalisme opportuniste et une coloration socialiste dans sa rhétorique populiste comme une arme idéologique pour consolider son pouvoir contre les factions concurrentes et justifier sa répression des luttes ouvrières et des révoltes des paysans. » Ainsi, il fulmine contre le nationalisme des opprimés et la séparation de l’Église et de l’État et il présente le populisme issu de la Révolution mexicaine comme purement réactionnaire et rien de plus qu’un stratagème idéologique pour « réprimer » les ouvriers et les paysans. Il nie totalement aussi les contradictions du populisme et le fait qu’il est aussi dirigé contre les impérialistes.

Les deux articles dénonçaient Cárdenas parce que « son intention était de moderniser le pays au profit de la bourgeoisie mexicaine » et parce que son héritage « consistait dans la consolidation du régime bourgeois mexicain ». Loin d’être réactionnaires, ces mesures étaient historiquement progressistes dans la mesure où elles étaient dirigées contre les impérialistes. On ne peut nier le caractère progressiste du développement national du Mexique que si l’on rejette la lutte des ouvriers et des paysans contre l’oppression impérialiste.

Pour donner du crédit à notre position réactionnaire, nous avons déformé la citation suivante de Trotsky :

« Dans les conditions de l’époque impérialiste, la révolution démocratique nationale ne peut être victorieuse que si les rapports sociaux et politiques d’un pays sont mûrs pour porter au pouvoir le prolétariat en qualité de chef des masses populaires. Et si les choses n’en sont pas encore arrivées à ce point ? Alors la lutte pour la libération nationale n’aboutira qu’à des résultats incomplets, entièrement dirigés contre les masses travailleuses. »

La révolution permanente (novembre 1929)

Il est vrai que la Révolution mexicaine s’est terminée dans un bain de sang paysan et que Cárdenas a maté les masses laborieuses. Le problème avec Espartaco n’est pas qu’il a dénoncé le résultat réactionnaire de tels processus, mais qu’il a utilisé cette citation pour s’opposer aux mesures et aux objectifs progressistes que Trotsky lui-même avait défendus avec insistance pendant son séjour au Mexique. Le véritable contenu de cette citation, c’est que le vrai crime et la véritable expression de la nature réactionnaire de la bourgeoisie nationale sont de supprimer à chaque pas la seule force capable de réaliser la libération nationale. Seul le prolétariat, à la tête de la paysannerie pauvre, peut réaliser cet objectif dans une lutte ininterrompue menant à sa propre dictature et, finalement, à travers toute une série de convulsions révolutionnaires au niveau mondial, à l’abolition des classes sociales elles-mêmes. Dans la mesure où la bourgeoisie nationale maintient son hégémonie, alors, comme l’écrivait Trotsky, « la lutte pour la libération nationale n’aboutira qu’à des résultats incomplets, entièrement dirigés contre les masses travailleuses ». En répudiant la lutte anti-impérialiste, Espartaco a contribué à perpétuer l’hégémonie de la bourgeoisie nationale.

Cette ligne a été maintenue jusqu’au dernier numéro d’Espartaco. L’article « Révolution permanente contre populisme bourgeois » (Espartaco n° 51, avril 2019) est une longue dénonciation du nationalisme qui trace une ligne stérile contre la bourgeoisie nationale tout en rejetant le caractère progressiste de la lutte pour l’émancipation nationale. Non seulement nous sommes revenus sur la période de Cárdenas pour présenter les mêmes arguments réactionnaires contre López Obrador [président actuel du Mexique], nous sommes allés jusqu’à dénoncer toute réforme, même limitée, dirigée contre les impérialistes et, au moins implicitement, nous avons dénoncé la nationalisation cardéniste du pétrole en écrivant :

« Les gouvernements précédents avaient préféré vendre au plus offrant, qu’il soit étranger ou mexicain, le secteur nationalisé de l’énergie, tout en participant à un gigantesque réseau de vol d’essence. López Obrador et une aile de la bourgeoisie mexicaine préfèrent développer et extraire le maximum qu’ils peuvent du peu qui reste de l’industrie pétrolière nationale, sachant qu’on peut en tirer de juteux profits. »

Étant donné que toute la base programmatique de chaque article sur le Mexique paru dans Espartaco était contraire au trotskysme, nous avons mis fin à sa publication. Nous lançons à partir d’aujourd’hui une nouvelle publication sous le titre d’El Antiimperialista avec le slogan « Pour l’émancipation ouvrière et nationale ! », qui évoque sous une forme condensée la véritable révolution permanente. Comme l’affirmait Trotsky, la lutte anti-impérialiste est la clé de la libération.