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https://iclfi.org/spartacist/fr/46/portorico

L’article suivant est basé sur une motion présentée par la camarade Maxine et adoptée lors de la Conférence.

Manifestations de masse contre la mise en œuvre par les impérialistes américains de PROMESA [loi créant un conseil colonial de supervision financière], luttes contre la privatisation de l’électricité et de l’eau, ouragans dévastateurs, pandémie, résurgence du mouvement independentista : tout montre que les masses portoricaines ont un besoin criant d’une direction communiste armée d’un programme anti-impérialiste et dédiée à lutter pour l’indépendance et le socialisme.

Pourtant, la LCI a rejeté la lutte même pour l’indépendance portoricaine dans son programme depuis 1993. Le camarade Jim Robertson l’a justifié ainsi lors d’une présentation donnée en 1998 :

« Parce que nous voulons combattre le chauvinisme racial aux États-Unis et le nationalisme dans l’île, nous recommandons fortement l’indépendance, mais nous la recommandons en étant conscients de la profonde ambivalence de la population. Donc, notre idée centrale c’est le droit> à l’autodétermination. Alors que nous avons en effet une position pour l’autodétermination vu d’ici [aux États-Unis], à Porto Rico cela doit être la lutte pour le pouvoir ouvrier. Les ouvriers victorieux devront décider comment exercer leur autodétermination ouvrière, selon les circonstances dans le monde et dans les Caraïbes à ce moment-là. »

– Cité dans « La bataille contre l’Hydre chauvine », Spartacist édition en français no 43, été 2017

Soyons clairs. La classe ouvrière et les masses opprimées portoricaines veulent l’indépendance, mais elles ne veulent pas devenir encore plus pauvres. C’est la raison pour laquelle les masses boricua (portoricaines) ne votent pas en faveur de l’indépendance – non pas parce qu’elles sont « ambivalentes » vis-à-vis de l’indépendance, mais parce qu’elles voient à juste titre que l’appel nationaliste à l’indépendance sous le capitalisme annonce une intensification de la misère économique sous les mêmes maîtres. Au lieu d’apporter une réponse à cette crainte bien réelle, nous nous en sommes servis comme excuse pour abandonner la lutte pour l’indépendance.

Les communistes se battent pour l’indépendance de Porto Rico parce que c’est une colonie opprimée et que nous sommes contre l’oppression nationale, pas parce que notre point de départ est de « combattre le chauvinisme racial aux États-Unis et le nationalisme dans l’île ». Parmi les « Conditions d’admission des Partis dans l’Internationale Communiste », la huitième stipule :

« Les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de “ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux. »

Le document de la Conférence internationale de la LCI de 2017 soutenait que nous avions eu tort de rejeter l’indépendance portoricaine dans notre presse et il affirmait que la lutte pour l’indépendance était une force motrice pour la révolution. Mais il affirmait aussi que la formulation du camarade Robertson citée ci-dessus « codifie à la fois notre posture anticoloniale […] ainsi que notre perspective de révolution permanente telle qu’elle s’applique à Porto Rico. »

C’était à la fois centriste et une déformation de la révolution permanente. Dans sa présentation, Robertson disait que nous « recommandons fortement l’indépendance » mais sans recommander que l’on lutte pour l’indépendance. Un de nos principaux arguments était qu’« en tant que léninistes, nous ne cherchons donc pas à leur imposer [aux Portoricains] notre point de vue en insistant qu’ils se séparent ; nous mettons plutôt l’accent sur le droit à l’autodétermination ». Cela établissait à tort que notre intervention dans le mouvement ouvrier portoricain devait être basée sur les « sentiments de la population » au lieu de partir d’une opposition de principe à l’oppression impérialiste.

Le rapport de Robertson de 1998 n’applique pas la théorie de la révolution permanente. Il affirme que, contrairement aux États-Unis où nous insistons sur l’autodétermination de Porto Rico, sur l’île même nous devons insister sur le « pouvoir ouvrier ». C’est opposer les tâches démocratiques à la nécessité d’une révolution socialiste, alors que ces deux combats vont ensemble. La seule façon d’avancer la révolution permanente à Porto Rico est de combiner la lutte pour l’émancipation nationale et la lutte pour le socialisme. C’est aussi la seule façon de couper court au chantage impérialiste qui menace Porto Rico d’une dévastation pire encore si l’île devait acquérir l’indépendance. En revanche, séparer les deux luttes, c’est trahir les aspirations nationales des masses, renoncer à la lutte anti-impérialiste et céder la direction du mouvement d’indépendance aux nationalistes.

La lutte pour l’indépendance est une force motrice pour la révolution à Porto Rico et elle peut être l’étincelle de la révolution dans toute la région. Pour le renversement révolutionnaire de l’impérialisme américain il faut une lutte commune du prolétariat américain et des masses portoricaines qui s’étende au reste des Caraïbes. Cela signifie-t-il que nous devrions appeler le prolétariat de l’île à attendre passivement que la révolution aux États-Unis se produise ? Non. La lutte pour l’émancipation nationale peut et doit se transformer en révolution socialiste et se poursuivre sans interruption. C’est sur cette base que nous luttons pour la révolution permanente à Boriquen et pour une fédération socialiste des Caraïbes.

Au lieu de défendre l’unité révolutionnaire sur la base de la lutte pour renverser l’impérialisme américain, la LCI cherchait l’unité basée sur l’internationalisme libéral en établissant que la tâche principale des travailleurs américains était de « combattre le chauvinisme racial aux États-Unis ». L’avant-garde du prolétariat unira la classe ouvrière non pas avec des leçons de morale mais en la menant dans une lutte commune contre l’impérialisme. Elle doit montrer comment les luttes défensives du prolétariat américain sont un aspect du combat, et celles des masses portoricaines et du reste des peuples d’Amérique latine pour leur émancipation en sont une autre. Au fur et à mesure de ces deux combats, ces travailleurs verront qu’il existe entre eux une alliance objective pour mettre fin à la tyrannie impérialiste américaine. Comme l’écrivait Trotsky :

« Plus vite l’avant-garde prolétarienne américaine, en Amérique du Nord, du Centre et du Sud, comprendra la nécessité d’une collaboration révolutionnaire plus étroite dans la lutte contre l’ennemi commun, plus tangible et fructueuse sera cette alliance. Clarifier, illustrer, organiser cette lutte – c’est en cela que consiste l’une des tâches les plus importantes de la IVe Internationale. »

– « L’ignorance n’est pas un instrument révolutionnaire », janvier 1939