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La polémique suivante contre le Groupe internationa­liste a d’abord été publiée dans Spartacist en anglais (n° 67, août 2022). Le GI avait alors une contradiction. Il prônait le défaitisme révolutionnaire dans le conflit, mais sa véritable pratique allait à l’encontre de cette position formellement correcte. C’est précisément ce que nous démontrons dans cet article. Depuis la publication de notre article, le GI a résolu sa contradiction. Malheureusement il ne l’a pas fait en adoptant une position vraiment révolutionnaire mais en se mettant à soutenir la Russie dans la guerre, une position ouvertement réactionnaire.

Dans un article du 22 octobre, le GI prétend maintenant que la Russie mène une guerre juste de défense nationale contre les impérialistes. Selon le GI, le conflit ne porte plus sur qui – les Russes ou les puissances impérialistes de l’OTAN/UE – dominera l’Ukraine, mais sur le fait que les impérialistes cherchent à « vaincre, détruire et démembrer la Russie ». Le GI va jusqu’au bout avec cette position : ils tirent un trait d’égalité entre d’une part la tâche des communistes vis-­à-­vis de l’« opération militaire spéciale » de la Russie, et d’autre part l’opposition de Trotsky au viol impérialiste de la Chine par le Japon et à l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie. Comment le GI justifie-­t-­il cette position absurde ? Ils prétendent que le soutien de l’OTAN à l’Ukraine a franchi un cap décisif (« la quantité s’est transformée en qualité ») et que « l’armée ukrainienne est ­devenue en réalité un prolongement de l’OTAN » (toutes les citations du GI sont traduites par nos soins).

Ces arguments volent en éclats à la première confrontation avec la réalité. Il est en fait bien évident que rien de fondamental n’a changé depuis le début de la guerre. L’Ukraine agit comme vassal des impérialistes depuis 2014. Depuis le début du conflit, elle reçoit des quantités d’armes des impérialistes et coordonne ses opérations ­mi­litaires avec l’OTAN. Le GI entre dans des détails sans fin sur tel ou tel type de système d’armes, tel discours ou tel acte de coopération militaire pour « prouver » que l’offensive ukrainienne de septembre a représenté un changement quali­tatif. Mais soyons concrets. Dans le contexte actuel, que représenterait une victoire de la Russie ? Tout comme en février, elle signifierait l’oppression nationale des Ukrainiens par la Russie. Et une victoire de l’Ukraine ? Elle signifierait la « liberté » des impérialistes de piller l’Ukraine, et l’oppression des minorités russes à l’intérieur des frontières de l’Ukraine. Donc, exactement les mêmes enjeux qu’au début de la guerre.

La « destruction » et le « démembrement » de la Russie ne se posent tout simplement pas dans le contexte actuel, quels que soient les succès des forces ukrainiennes sur le champ de bataille. Cela ne deviendrait une vraie question que s’il y avait une escalade gigantesque de la guerre par les ­impérialistes, impliquant une confrontation militaire directe avec les forces armées russes. Si cela se produit, il ne sera pas nécessaire d’examiner à la loupe des déclarations diplomatiques obscures ou des accords de défense pour comprendre que la nature du conflit a changé. Ce sera très clair et la défense de la Russie sera effectivement à l’ordre du jour.

Cependant, le principal problème dans la position du GI ne réside pas dans son analyse défectueuse mais dans les conclusions programmatiques qui en découlent. Selon la position du GI, les ouvriers ukrainiens doivent se ­battre pour la victoire de la Russie et faciliter les avancées russes sur le territoire ukrainien. Autrement dit, ils doivent se battre pour leur propre oppression nationale. Et la classe ouvrière russe ? Elle doit se mobiliser pour soutenir la guerre et se battre contre la bourgeoisie russe parce que celle-­ci ne mène pas une guerre totale en Ukraine. Au lieu d’organiser les ouvriers russes les plus avancés – ceux qui sont opposés aux objectifs prédateurs de leur bourgeoisie en Ukraine –, la position du GI renforce les tendances ultra-chauvines russes qui critiquent Poutine parce qu’il ne consacre pas suffisamment de ressources à la guerre.

Avoir une position trotskyste sur une guerre donnée ne signifie pas simplement s’opposer au camp que les impéria­listes soutiennent. Il faut aborder la question du point de vue de la lutte pour la révolution socialiste internationale. La position du GI est un obstacle à la mobilisation de la classe ouvrière russe et ukrainienne pour une issue révolutionnaire au conflit. Elle va aussi totalement à ­l’encontre de la lutte pour la révolution socialiste dans le reste du monde. Dans les pays opprimés par l’impérialisme, elle renforce l’illusion que tout ce qui est fait contre les intérêts des États-­Unis est nécessairement progressiste, y compris les interventions militaires réactionnaires comme l’opération militaire spéciale de la Russie. Dans les pays impé­rialistes, cette position sape complètement les arguments pour s’opposer aux buts et aux actions de l’OTAN et de l’UE dans la guerre. Par exemple, lorsque le GI explique pourquoi les ouvriers doivent s’opposer aux envois d’armes en Ukraine, cela n’est pas basé sur les véritables crimes des impérialistes, mais sur l’affirmation manifestement fausse que la souveraineté nationale de la Russie est attaquée. Que ce soit en Ukraine, en Russie ou dans le reste du monde, la position du GI ne vise pas à résoudre de façon révolutionnaire la contradiction entre les intérêts objectifs de la classe ouvrière et le programme social-­chauvin de ses directions. Au contraire, dans chaque cas, elle ne peut que renforcer la subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie.

Nous ne pouvons que faire des hypothèses sur ce qui a poussé le GI à changer de position. Ce qui est certain, c’est que ce changement de ligne n’a pas été provoqué par un changement « qualitatif » de la situation en Ukraine. Loin de nous l’idée que la modeste polémique que nous avons écrite cet été ait pu pousser le GI à adopter une position plus cohérente. Mais nous remarquons tout de même que l’article dans lequel le GI change de ligne aborde justement plusieurs des questions sur lesquelles nous les avons critiqués dans le dernier Spartacist en anglais, sans jamais répondre à nos arguments. C’est sans doute une coïncidence.


Dans la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine, la Ligue communiste internationale défend le défaitisme révolutionnaire : nous appelons à « transformer cette guerre entre deux classes capitalistes en guerre civile où les travailleurs les renverseront toutes les deux » (voir page 3). Le Groupe internationaliste (GI) est l’une des seules autres organisations de gauche semblant avoir la même ligne. Dans leur déclaration du 28 février, ils proclament qu’ils « ap­­pellent au défaitisme révolutionnaire des deux côtés dans cette guerre nationaliste réactionnaire ». Ils expliquent ensuite :

« Nous sommes pour faire tomber les régimes capitalistes ukrainien et russe par la révolution ouvrière internationaliste. Nous combattons le chauvinisme grand-­russe déclaré de ­Poutine (ainsi que celui de l’opposant Alexeï Navalny, encensé par l’Occident comme “militant anticorruption”) – et nous combattons le nationalisme réactionnaire de la bourgeoisie ukrainienne, qui cherche à être la ligne de front de l’OTAN et de l’Union européenne (UE). »

– « Derrière la guerre : la campagne belliciste des USA et de l’OTAN contre la Russie et la Chine » (The Internationalist, janvier-avril 2022)

En lisant cela, la plupart des gens pourraient raisonnablement penser que la LCI et le GI ont la même position, et que tous deux s’inscrivent dans la tradition du bolchévisme en défendant le défaitisme révolutionnaire. Mais le GI a beau se dire « défaitiste révolutionnaire », en réalité il vide le léninisme de tout son contenu révolutionnaire et rejette en pratique la lutte pour une issue révolutionnaire à cette guerre. Pour s’en rendre compte, il faut d’abord ­comprendre le programme léniniste contre l’impérialisme, et en quoi consiste réellement le défaitisme révolutionnaire dans la ­situation actuelle.

Le défaitisme révolutionnaire est le programme pour lequel Lénine et les bolchéviks se sont battus pendant la Première Guerre mondiale, en s’opposant aux dirigeants de la IIe Internationale qui avaient trahi le prolétariat et soutenaient « leur » bourgeoisie dans la guerre. Les bolchéviks proclamaient : 1) les révolutionnaires authentiques devaient être pour la défaite de « leur » gouvernement dans la guerre et chercher à transformer cette guerre réactionnaire entre nations en guerre civile révolutionnaire contre les ­capitalistes ; 2) la IIe Internationale était morte, ­dé­truite par le chauvinisme, et il fallait construire une nouvelle Internationale sur la base du marxisme révolutionnaire ; et 3) pour ce faire, les révolutionnaires devaient lutter pour la scission avec les partisans déclarés de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier – les sociaux-­chauvins – et aussi contre les opportunistes et les centristes qui uti­lisaient une phra­séologie « marxiste » pour préserver l’unité avec les sociaux-­chauvins et pour tromper le prolétariat avec du réformisme, du pacifisme, ou autres solutions non révolutionnaires.

Ce programme est resté au centre de toute l’activité de Lénine jusqu’à la révolution d’Octobre, qui a représenté l’accomplissement de cette perspective dans la réalité. Dans l’un de ses tout premiers articles au début de la guerre, Lénine résumait ainsi la perspective des bolchéviks :

« Dans l’armée aussi, un socialiste a pour devoir d’être le propagandiste de la lutte de classe ; l’action visant à transformer la guerre des peuples en guerre civile est la seule action socialiste à l’époque du conflit impérialiste armé des bourgeoisies de toutes les nations. À bas la niaise sentimentalité des vœux pieux sur “la paix à tout prix” ! Levons le drapeau de la guerre civile ! L’impérialisme met en jeu le destin de la civilisation européenne : d’autres guerres suivront bientôt celle-ci, à moins qu’il ne se produise une série de révolutions victorieuses. […]

« La IIe Internationale est morte, vaincue par l’opportunisme. À bas l’opportunisme, et vive la IIIe Internationale débarrassée non seulement des “transfuges” […], mais aussi de l’opportunisme !

« […] À la IIIe Internationale revient la tâche d’organiser les forces du prolétariat en vue de l’assaut révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, de la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays pour le pouvoir politique, pour la victoire du socialisme ! »

– « La situation et les tâches de l’Internationale ­socialiste » (novembre 1914)

Le programme de la LCI dans la guerre actuelle découle directement de cette perspective. La guerre en Ukraine n’est pas une guerre impérialiste, mais un conflit régional entre deux classes capitalistes non impérialistes pour décider quelle bande de voleurs va piller l’Ukraine. D’un côté, le gouvernement ukrainien se bat pour asservir le pays aux impérialistes de l’UE et de l’OTAN. De l’autre, la bourgeoisie russe se bat pour ramener l’Ukraine sous sa botte. Dans une telle guerre, c’est un crime pour le prolétariat de soutenir la victoire d’une des bandes de voleurs contre l’autre, et les communistes révolutionnaires doivent lutter – exac­tement comme l’avait fait Lénine – pour transformer cette guerre entre capitalistes en guerre civile révolutionnaire contre tous les oppresseurs. C’est pourquoi la LCI appelle les travailleurs et les soldats ukrainiens et russes à ­fraterniser et à retourner les fusils contre leurs dirigeants.

Même si les puissances impérialistes de l’OTAN et de l’UE – les États-­Unis, la France, l’Allemagne et la Grande-­Bretagne – ne s’affrontent pas militairement à la Russie sur le terrain, cette guerre montre la nécessité urgente de renverser ces brigands. C’est leur pillage de l’Europe de l’Est et leur campagne de guerre contre la Russie qui ont provoqué ce conflit et qui menacent le monde d’un anéantissement nucléaire. Mais la direction du mouvement ouvrier dans les centres impérialistes partage complètement les visées prédatrices des impérialistes, et elle désarme la classe ouvrière en la mobilisant derrière l’OTAN et l’UE. Pour cette raison, il est impossible de combattre l’impérialisme sans mener une lutte implacable contre ceux qui, dans le mouvement ouvrier, essaient de concilier les intérêts du prolétariat avec ceux de « leurs » exploiteurs impérialistes.

Par conséquent, la tâche que Lénine s’était fixée en 1914 reste tout aussi urgente aujourd’hui : les révolutionnaires doivent lutter pour que le prolétariat rompe avec ses dirigeants traîtres, afin de forger un parti internationa­liste révolutionnaire. Voilà ce que signifie être un révolutionnaire dans la guerre actuelle. Et c’est ce qui distingue les révolutionnaires authentiques des centristes qui sont prêts à tout accepter dans le marxisme, sauf son contenu et ses méthodes révolutionnaires et l’éducation de la classe ouvrière en ce sens.

Le GI fait partie de ce courant centriste ; il se dit pour le défaitisme révolutionnaire mais il rejette en pratique toutes ses implications révolutionnaires. Lénine disait souvent qu’en politique, ceux qui croient davantage les paroles et les intentions que les faits et les actes sont des imbéciles finis. Le GI prétend lutter pour la révolution, il faut donc exa­miner ce qu’il fait pour pleinement comprendre le caractère non révolutionnaire de son programme.

Journalisme libéral radical contre marxisme révolutionnaire

Il suffit de jeter un coup d’œil à la propagande du GI sur la guerre pour voir clairement que toute sa perspective et le contenu de ses interventions consistent à embrouiller ceux qui aspirent à lutter pour une révolution avec du journalisme libéral à phraséologie marxisante. Depuis la déclaration du 28 février citée plus haut, le GI a publié quelques articles sur l’Ukraine, dont une « correspondance d’Allemagne » qui documente le traitement raciste des réfugiés de couleur comparé aux réfugiés blancs venus d’Ukraine (« Le racisme impérialiste et la guerre russo-­ukrainienne », 19 mars), et deux longs articles indigestes montrant à quel point une grande partie de l’armée et du gouvernement ukrainiens grouillent de fascistes (« La vérité sur l’infestation fasciste de l’Ukraine », 4 avril, et « Réponse à la question : qui était derrière le massacre de Maïdan en 2014 ? », 10 avril). Voici comment le GI pense faire un travail « révolutionnaire » dans la guerre actuelle : faire du journalisme d’investigation libéral radical sur des questions qui ont été mille fois mieux documentées dans les pages de la presse bourgeoise libérale.

Le devoir des révolutionnaires est de révéler aux travailleurs et aux jeunes la vraie nature de cette guerre, afin de faire avancer la lutte pour la révolution socialiste en démasquant les tromperies réformistes, pacifistes et pro-­impérialistes. Les travailleurs ne doivent pas soutenir l’Ukraine dans cette guerre, non pas parce qu’il y a des fascistes parmi ses soldats, ni parce que les alliés impé­rialistes de Zelensky sont racistes envers les réfugiés de couleur (quelle surprise !), mais bien parce que le ­gouvernement ukrainien se bat pour asservir l’Ukraine aux impérialistes. Écrire de longs articles sur le bataillon Azov, le fascisme et les politiques racistes d’immigration, c’est simplement une façon d’éviter de confronter cette question cruciale, qui repousserait inévitablement les libéraux petits-­bourgeois pro-­UE aux États-­Unis et en Allemagne auxquels le GI fait la cour.

Les libéraux de gauche de toute sorte n’ont aucun pro­blème a écrire en long et en large sur la discrimination contre les réfugiés ou sur le fascisme en Ukraine, tout en soutenant du même coup les buts militaires des impéria­listes dans la région. Les libéraux insistent sur ces questions parce qu’elles entachent la campagne belliciste par ailleurs « noble » des brigands impérialistes « démocratiques ». Ce qui motive ces libéraux, ce n’est pas qu’ils détestent « leurs » impérialistes meurtriers, mais qu’ils veulent rendre plus convaincants et moins hypocrites les objectifs de ces derniers dans cette guerre. Le GI ne fait qu’aider à donner une couverture « marxiste » à ce libéralisme réactionnaire.

Il est tout à fait révélateur que, dans tous ses articles sur l’Ukraine, le GI n’a pas produit une seule polémique ­contre le pacifisme, qui est l’illusion centrale actuellement colportée par la gauche réformiste et les dirigeants syndicaux, particulièrement dans les pays impérialistes où se trouve la majorité des militants de la LCI ainsi que du GI. Les appels à la « paix », au « désarmement », à une « solution diplomatique », et en général l’illusion que les impérialistes pourraient apporter une solution pacifique et juste à cette guerre constituent l’instrument central pour maintenir désarmés et enchaînés à leurs exploiteurs les jeunes et les ouvriers avancés. Refuser de dire ne serait-­ce qu’un mot contre cela, c’est rejeter le marxisme.

Au contraire, tout le contenu de la propagande et des interventions de la LCI sur la guerre en Ukraine vise expli­citement à démasquer les « socialistes » qui utilisent des slogans pacifistes et « anti-­impérialistes » pour dissimuler leur servilité totale envers la bourgeoisie. C’est cela un travail révolutionnaire, et c’est ce que rejette le GI.

Le GI ne lutte pas pour le défaitisme révolutionnaire

Les appels du GI au « défaitisme révolutionnaire » sont contredits par les autres slogans qu’il avance. Par ­exemple, ils appellent à « Défendre l’autonomie de l’Ukraine du Sud-­Est » et à « Écraser les fascistes ». Dans le contexte de la guerre actuelle, avancer ces revendications ne fait ­qu’alimenter les illusions dans la possibilité d’une solution juste pour les masses ukrainiennes et russes sans révolution socialiste.

Avant la guerre, il était correct de revendiquer l’auto­nomie pour l’Est de l’Ukraine. Mais depuis, cette lutte est totalement subordonnée aux buts de guerre de la Russie, c’est-­à-­dire annexer des régions entières de l’Ukraine, et potentiellement tout le pays. La seule façon pour que l’Est de l’Ukraine se gouverne lui-­même en ce moment, c’est par une victoire de la Russie. Appeler aujourd’hui les travailleurs à « défendre l’autonomie de l’Ukraine du Sud-­Est » revient à soutenir tacitement cette solution, ce qui est ­inconciliable avec une position de défaitisme révolutionnaire.

Une victoire de l’armée russe signifierait l’oppression nationale des Ukrainiens par la Russie, un fait que le GI escamote. Mais une défaite de la Russie condamnerait la minorité russophone d’Ukraine à une oppression nationale sans précédent. Le problème, c’est qu’aucun des camps dans cette guerre ne mène une juste lutte de libération nationale.

Le devoir des révolutionnaires est d’expliquer que dans la situation actuelle, aucune résolution progressiste de la question nationale en Ukraine n’est possible sans le renversement des capitalistes russes et ukrainiens. Seuls les ou­­vriers au pouvoir peuvent apporter une solution véritablement démocratique aux masses ukrainiennes et russophones. En appelant à « défendre l’autonomie de l’Ukraine du Sud-­Est », le GI trompe la classe ouvrière.

La revendication du GI « Écrasez les fascistes », qui est l’un de ses principaux slogans dans la guerre actuelle, joue un rôle similaire. La tâche centrale pour les travailleurs russes et ukrainiens n’est pas la lutte contre le fascisme. Il ne peut pas y avoir de lutte indépendante pour combattre le fascisme en Ukraine sans lutte révolutionnaire pour transformer cette guerre en guerre civile contre tous les exploi­teurs. La tâche urgente et immédiate pour les communistes russes et ukrainiens, c’est de se battre pour la fraternisation des soldats et des ouvriers dans une lutte révolutionnaire commune contre la guerre menée par « leurs » gouvernements capitalistes. Au lieu de se battre pour arracher les travailleurs russes et ukrainiens à leurs dirigeants nationa­listes traîtres qui les livrent à leurs exploiteurs comme chair à canon, le GI trompe les travailleurs ukrainiens et russes en leur disant que leur tâche centrale est de purger l’armée de Zelensky de ses fascistes.

De plus, faire de la lutte contre le fascisme ukrainien la tâche centrale dans cette guerre, c’est donner du crédit aux prétentions de la Russie qu’elle mènerait une guerre de « dénazification ». Que peut signifier en effet « Écrasez les fascistes » dans cette guerre, sinon un soutien tacite à la Russie ? Les articles du GI reflètent constamment ce penchant pro-­russe. Il écrit par exemple (« La vérité sur l’infestation fasciste de l’Ukraine ») : « Poutine a proclamé que son but de guerre était “la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine”, mais pour que cela ait un effet durable, il faut que ce soit accompli par les travailleurs eux-­mêmes, sur une base internationaliste » (en italiques dans l’original). C’est ri­­dicule ! Les oligarques russes ne mènent pas une espèce de guerre antifasciste en Ukraine. Il est contraire aux intérêts du prolétariat de soutenir la guerre de la Russie, non pas car elle n’aurait pas d’« effet durable » pour éradiquer le fascisme, mais parce que son but de guerre est d’asservir l’Ukraine à la classe capitaliste russe ! Les prétentions du GI qu’il lutte pour le défaitisme révolutionnaire sont un mensonge puisqu’il présente la guerre des capitalistes russes comme si elle avait un caractère semi-­progressiste.

Fondamentalement, nous ne croyons pas que le GI sou­tienne implicitement les prétentions à la « dénazification » de la bourgeoisie russe, ou avance des slogans comme l’« autonomie de l’Ukraine du Sud-­Est » par enthousiasme pour la Russie de Poutine. C’est simplement la conclusion logique si l’on refuse de s’appuyer sur le prolétariat comme facteur révolutionnaire indépendant, ce qui conduit forcément à s’appuyer sur une force bourgeoise ou une autre. Certains dans les pays impérialistes et beaucoup de gens dans le monde néocolonial sont poussés à soutenir la Russie par haine des impérialistes. Fondamentalement, cela résulte de la démoralisation, de l’incapacité à envisager une issue révolutionnaire et de l’illusion que la Russie capitaliste serait en quelque sorte une alternative aux impérialistes. C’est cela que reflète le GI.

Mais peut-­être que le GI pourrait renvoyer à ses autres slogans « révolutionnaires » pour réfuter nos arguments ? Avec les revendications citées plus haut, le GI avance aussi « Il faut s’opposer à la guerre russo-­ukrainienne provoquée par les impérialistes » et « Pour une lutte révolutionnaire contre les dirigeants capitalistes à Moscou et à Kiev ! », et il appelle souvent à la lutte de classe révolutionnaire contre les impérialistes. Que de belles paroles ! Mais contrairement à notre appel aux soldats et aux ouvriers ukrainiens et russes à fraterniser et à retourner les fusils, les appels « révolutionnaires » du GI sont totalement abstraits ; ils sont conçus pour être compatibles avec le réformisme et le social-­pacifisme.

Quantité d’opportunistes n’ont aucune difficulté à ­« ­s’opposer à la guerre provoquée par les impérialistes » et à lancer des proclamations vides de sens sur la nécessité d’une « lutte de classe révolutionnaire » à Kiev, à Moscou et ailleurs, tout en luttant en même temps pour la victoire de l’Ukraine et la défaite de la Russie, ce qui fait d’eux des laquais de « leur » gouvernement impérialiste. Ce ­qu’aucun réformiste ou opportuniste ne va avancer, et ce que le GI refuse d’avancer, c’est le slogan historique du bolchévisme, c’est-­à-­dire l’appel à la guerre civile contre la bourgeoisie. C’est le seul slogan montrant de façon claire et concrète la voie vers la révolution, et prenant une position révolutionnaire frontalement opposée à l’unité nationale ­pro-­impérialiste pour soutenir l’Ukraine.

Les révolutionnaires ont l’obligation non pas de lancer des appels vagues et creux à la « lutte révolutionnaire », mais de mettre en avant un programme révolutionnaire clair pour cette lutte. L’Unione Sindacale di Base (USB) en Italie et les syndicats du PAME liés au Parti communiste grec ont mené des actions contre des livraisons d’armes à l’Ukraine et contre l’OTAN et les impérialistes. Les révolutionnaires doivent assurément soutenir et préconiser ce genre d’actions et y participer activement. Cependant, il faut également expliquer qu’elles ont été menées derrière des slogans sociaux-­pacifistes, et par des dirigeants réformistes. Ces dirigeants font tout autant obstacle à la mobilisation révolutionnaire du prolétariat que les lèche-­bottes ouvertement pro-­impérialistes. Par exemple, en Italie, les dirigeants de l’USB travaillent sans relâche à subordonner les actions ouvrières antiguerre à l’Église catholique et à des politiciens bourgeois « antiguerre ».

Mais on ne trouvera pas un mot là-­dessus chez le GI, dont l’article « Les socialistes de l’OTAN en Italie » (The Internationalist, avril 2022) salue ces actions sans la moindre critique. Cela montre le vrai contenu de l’appel du GI à la « lutte révolutionnaire » : il ne signifie pas la lutte de classe sur la base du défaitisme révolutionnaire mais ­l’action syndicale sous une direction pacifiste. Sinon, pourquoi le GI refuse-­t-­il d’avoir la moindre polémique contre le pacifisme ? Ce que rejette le GI, c’est la lutte pour une direction révolutionnaire, car elle nécessite un combat pour arracher la classe ouvrière à tous les dirigeants sociaux-­chauvins, y compris les pacifistes anti-­OTAN.

Le centrisme mène au social-­chauvinisme

Comme nous l’avons expliqué, il est impossible de lutter contre l’impérialisme sans lutter contre les agents de l’impérialisme dans le mouvement ouvrier. C’est absolument crucial dans les centres impérialistes, dont les bourgeoisies sont le rempart international de la réaction. Là encore, cette conception découle directement de la lutte menée par Lénine pendant la Première Guerre mondiale. La principale leçon du léninisme, c’est que pour forger un parti révolutionnaire, l’instrument essentiel pour accomplir la révolution ouvrière, l’avant-­garde prolétarienne doit scissionner avec le social-­chauvinisme et le centrisme et s’unir sous un étendard véritablement révolutionnaire. Dans Le socialisme et la guerre (1915), un des documents programmatiques cruciaux des bolchéviks, Lénine et Grigori ­Zinoviev expliquaient ceci :

« Seul est un véritable internationaliste celui qui combat le kautskisme, qui comprend que le “centre”, même après le prétendu tournant de ses chefs, reste, quant aux principes, l’allié des chauvins et des opportunistes. »

Et plus loin :

« Nous avons la conviction la plus profonde que, dans l’état actuel des choses, la scission avec les opportunistes et les chauvins est le premier devoir d’un révolutionnaire, de même que la scission avec les jaunes, les antisémites, les syndicats ouvriers libéraux, etc., était nécessaire pour éclairer au plus vite les ouvriers arriérés et les entraîner dans les rangs du parti social-démocrate.

« La IIIe Internationale, à notre avis, devrait être fondée ­précisément sur cette base révolutionnaire. »

Cela fait maintenant des décennies que les traîtres qui dirigent la classe ouvrière dans tous les pays capitalistes avancés – dans les syndicats et les partis ouvriers – conduisent le mouvement ouvrier à défaite sur défaite et pré­sident au déclin des syndicats et à l’appauvrissement de la classe ouvrière. Pendant la pandémie, les lieutenants ou­­vriers du capital se sont vautrés dans l’unité nationale avec la bourgeoisie en soutenant les confinements dévastateurs et en réclamant qu’ils soient plus stricts ; ils ont joué un rôle clé pour désarmer le prolétariat pendant que les patrons s’acharnaient sur les travailleurs. (Le GI a trahi la classe ouvrière en soutenant ces mesures réactionnaires.)

Et maintenant qu’une inflation galopante ravage le niveau de vie des travailleurs, les dirigeants syndicaux lèvent à peine le petit doigt pour s’y opposer, tout occupés qu’ils sont à aider les bouchers impérialistes à promouvoir leur campagne belliciste contre la Russie dans le mouvement ouvrier. Arracher la classe ouvrière à ces vendus et reforger la IVe Internationale – c’est-­à-­dire une direction nouvelle, révolutionnaire, de la classe ouvrière internationale – demeure la tâche urgente et vitale à laquelle font face les révolutionnaires, et c’est la raison d’être de la LCI. En fait, chercher à réaliser cette rupture est la seule façon de vraiment lutter contre l’impéria­lisme ici et maintenant. Le GI a abandonné en pratique le léninisme et le montre le plus clairement en rejetant la lutte pour une direction ­révolutionnaire du prolétariat.

Dans sa déclaration du 28 février, le GI fait de mul­tiples polémiques visant la gauche réformiste et les pseudo-­trotskystes. Leur contenu peut se résumer ainsi : « Le gros de la gauche occidentale s’est alignée derrière les impé­rialistes de l’OTAN en dénonçant les Russes de façon unilatérale. » Ce qui chagrine le GI, c’est que Die Linke en Allemagne, le Parti communiste français, Socia­list ­Alternative (SAlt) aux États-­Unis et autres sont trop « unilatéraux ».

Mais cela ne fait qu’enterrer la trahison centrale des réformistes, c’est-­à-­dire leur opposition au défaitisme révolutionnaire et leur soutien à l’Ukraine contre la Russie, ce qui constitue un soutien à « leurs » maîtres impé­rialistes ! Être pour le défaitisme révolutionnaire ne compte pour rien si ce n’est pas sur cette base que l’on dénonce les réformistes ! Mais pour cela, il faut lutter pour le « défai­tisme révolutionnaire » concrètement et en action, au lieu de s’en servir uniquement comme une dé­­claration sur le papier qui ne signifie rien, à laquelle on ne croit pas vraiment et qu’on utilise uniquement pour éviter de se ranger ouvertement aux côtés de la Russie. En critiquant la gauche pour mille choses sauf pour son opposition au défaitisme révolutionnaire, le GI capitule devant le social-­chauvinisme.

Un exemple de ce genre de « polémique » suffira à nos lecteurs. Le GI attaque SAlt en expliquant qu’elle a « appelé à une “solidarité totale avec le peuple de l’Ukraine” et exigé le “retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine” ». Voici la réponse du GI : « Mais pas d’appel à l’arrêt des livraisons d’armes par l’OTAN à Kiev. » Quelle capitulation grotesque devant le social-­chauvinisme ! L’appel au « retrait des troupes russes » est le slogan avancé par toute la gauche social-­chauvine, de concert avec les impérialistes de l’OTAN/UE. Le GI n’est pas d’accord avec ce slogan, non pas parce que c’est une revendication pro-­impérialiste, mais parce qu’elle va à l’encontre de son appel à « l’autonomie » – autrement dit, le GI est pour l’« entrée des troupes russes ».

Contrairement au GI, les révolutionnaires s’opposent aux appels au « retrait des troupes russes » parce que cela re­­vient à revendiquer la victoire de l’Ukraine, ce qui est inconciliable avec une position de défaitisme révolutionnaire. Un retrait de l’armée russe n’est possible que par une défaite militaire de la Russie. Une telle issue signifierait le maintien de l’Ukraine sous la domination des impéria­listes. Avec ce slogan, SAlt ne défend pas les masses ukrai­niennes mais défend au contraire le « droit » exclusif de « ses » impérialistes à piller l’Ukraine, comme si c’était un moindre mal comparé au pillage par les capitalistes russes. Donc la critique de SAlt que fait le GI est un alibi pur et simple et une capitulation au social-­chauvinisme. Même si SAlt ajoutait un appel à s’opposer aux livraisons d’armes de l’OTAN à Kiev – une position bon marché du côté des pacifistes –, cela ne changerait aucunement le fait que sa position est totalement social-­chauvine.

Pendant la Première Guerre mondiale, les bolchéviks ne réclamaient pas le « retrait des troupes allemandes de Russie », qui était le slogan du tsar (et plus tard du Gouvernement provisoire bourgeois de Kérensky). Ils luttaient pour la fraternisation révolutionnaire des soldats allemands avec les ouvriers et les paysans russes, à la fois contre les capita­listes russes et contre les capitalistes allemands. Mais ce qui est crucial, c’est que les bolchéviks dénonçaient les sociaux-­démocrates précisément parce qu’ils rejetaient ce programme révolutionnaire. C’est ce que le GI refuse de faire !

L’opportunisme en action sur le terrain allemand

Le centrisme du GI conduit tout droit au social-­chauvinisme, et on le voit encore plus clairement sur le terrain allemand. Depuis le début de la guerre, la gauche allemande est plongée dans une crise profonde, en réponse à laquelle nos camarades du Spartakist-­Arbeiterpartei Deutschlands (SpAD) ont lancé une campagne sous le slogan « Chassez de la gauche les partisans de l’UE/OTAN ! », en combinaison avec notre slogan « Travailleurs ukrai­niens, russes : Retournez les fusils contre vos dirigeants ! » (voir page 11). Lors de la réunion publique du SpAD du 12 mai 2022 à Berlin, le GI est intervenu dans la discussion pour dénoncer cette perspective, la traitant de réformiste parce qu’elle alimenterait des illusions dans une « réforme » de la social-­démocratie. Pour que l’on comprenne le caractère révolutionnaire des slogans de nos camarades allemands et comment les critiques du GI sont une défense du social-­chauvinisme, nous devons d’abord expliquer plus en détail la situation actuelle en Allemagne.

La guerre en Ukraine a forcé l’impérialisme allemand à opérer un brusque changement d’orientation stratégique. Depuis la contre-­révolution qui a détruit l’URSS, ­l’Allemagne cherche soigneusement à maintenir l’équi­libre entre son engagement dans l’alliance transatlantique de ­­­l’UE/OTAN dominée par les États-­Unis et le ­développement de liens économiques significatifs avec la Russie. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a rendu cette si­tuation intenable, et la bourgeoisie allemande est au­jourd’hui forcée de rompre avec la Russie, de s’engager pleinement derrière la campagne belliciste des USA et de l’OTAN et d’envoyer des armes lourdes à l’Ukraine.

L’annonce par le chancelier du Parti social-­démocrate (SPD) Olaf Scholz d’un réarmement allemand massif est un aspect de ce changement majeur. L’Allemagne a massivement renforcé sa domination économique en Europe grâce au pillage « pacifique » de l’Europe de l’Est et du Sud, en uti­lisant l’UE et l’euro. Les Américains et l’OTAN garantissant la stabilité sur le continent, l’Allemagne n’avait pas besoin de grosses dépenses militaires. Pendant des décennies, le pacifisme de la gauche réfor­miste allemande, attachée au « désarmement » et opposée aux interventions extérieures de l’armée allemande, était complètement au diapason avec la politique des impéria­listes allemands. Mais cette lune de miel vient subitement de prendre fin et la bourgeoisie a demandé le divorce par l’intermédiaire de ses avocats du SPD qui mettent en œuvre ce tournant, réarment l’impérialisme allemand et alignent le mouvement ouvrier derrière.

Confrontée à ce brusque tournant, la gauche allemande traverse une crise sans équivalent dans d’autres pays impéria­listes ; presque toutes les organisations sont en proie à des conflits internes. Le mécontentement gronde à la base du SPD. Scholz a été hué et insulté par une foule de syndicalistes venus écouter son discours du Premier Mai à Düsseldorf. Dans le parti réformiste Die Linke, une frange substantielle de la direction veut mettre à la poubelle son appel historique à la « dissolution de l’OTAN » et se rallier ouvertement à la campagne belliciste impérialiste. Mais une opposition significative résiste à ce changement et veut s’accrocher au pacifisme de la période précédente, tout en voulant éviter à tout prix une scission. Les organisations d’extrême gauche (Parti communiste allemand, Parti marxiste-­léniniste d’Allemagne, Organisation communiste, etc.) ne savent pas quoi faire ; elles sont profondément divisées entre, d’un côté, des fractions pro-­OTAN/UE/Ukraine, de l’autre des fractions pro-­russes, et un ­centre qui essaie désespérément de préserver l’unité. En un sens, la crise de la gauche allemande reflète la crise dans la ­bourgeoisie allemande.

C’est contre la prosternation de toute la gauche pacifiste réformiste devant les larbins sociaux-­démocrates des impérialistes que nos camarades allemands ont avancé le slogan « Chassez de la gauche les partisans de l’UE/OTAN ! » Nous appelons à chasser du mouvement ouvrier tous ceux qui soutiennent ouvertement les institutions ­d’exploitation impérialistes. Mais notre slogan est principalement dirigé contre les réformistes et les pacifistes qui vont inévitablement, au nom de « l’unité », trahir et capituler devant les apologistes déclarés de ­l’impéria­lisme. C’est leur programme pacifiste qui est à la fois la source de la crise dans la gauche et l’obstacle principal au développement d’un pôle marxiste révolutionnaire contre ­l’impérialisme allemand.

Donc est-­ce que nous essayons de « réformer » Die Linke au lieu de construire un parti révolutionnaire, comme le prétend le GI ? Comme l’enseignait Lénine, la seule façon de forger un parti révolutionnaire, c’est d’arracher la base ouvrière de la social-­démocratie à sa direction réformiste traîtresse. Notre objectif est d’approfondir les divisions dans Die Linke, et dans toutes les autres organisations de gauche, de les accentuer et de les rendre plus claires, en montrant que la seule voie pour lutter de façon conséquente contre l’impérialisme, c’est en se basant sur un programme révolutionnaire, dans l’objectif de scissionner Die Linke selon cette ligne.

Pour le faire, nous exigeons effectivement que l’aile gauche de Die Linke chasse ceux qui soutiennent ouvertement l’OTAN, l’UE et l’impérialisme allemand. L’issue la plus probable sera qu’ils refuseront de le faire et qu’ils œuvreront à préserver l’unité avec les pro-­impérialistes comme Gregor Gysi et Cie, montrant ainsi qu’ils sont eux-­mêmes des agents de l’impérialisme. Toutefois, s’ils chassaient l’aile droite, ce serait aussi une bonne chose. Chasser du mouvement ouvrier les Gysi, Bodo Ramelow et tous les autres lèche-­bottes de l’impérialisme serait une mesure d’hygiène politique élémentaire à laquelle seuls des ­mollusques opportunistes peuvent s’opposer.

Une telle scission ne ferait pas de Die Linke un parti révolutionnaire. Ce ne serait pas notre scission. Mais nous en serions partisans parce que cela mettrait Sahra ­Wagenknecht et ses acolytes pacifistes aux commandes du parti. Ils ne pourraient plus continuer à se cacher derrière l’aile droite, et la faillite de leur programme de « désarmement », de « paix » et de défense du « droit international » serait beaucoup plus facile à démasquer pour ce qu’il est : une impasse complètement pro-­impérialiste. Appliquée avec succès, notre tactique ouvrirait la possibilité d’une scission dans Die Linke entre réforme d’un côté et révolution de l’autre, ce qui détruirait ce parti en tant qu’obstacle réfor­miste et jetterait les bases pour forger un parti ouvrier ­révolutionnaire en Allemagne.

Le GI se couvre en lançant des accusations prétendument de gauche comme quoi nous chercherions à réformer la social-­démocratie, mais ce qu’ils dénoncent, c’est simplement l’application du léninisme à la réalité. Le devoir des révolutionnaires n’est pas de rester en marge en prêchant abstraitement la « lutte de classe révolutionnaire », comme le voudrait le GI, mais d’intervenir dans les conflits qui ébranlent la classe ouvrière et la gauche d’une manière qui fera objectivement avancer la lutte pour la révolution.

Lors de la réunion publique de Berlin, un des inter­venants du GI a ressassé le même argument fallacieux sur la « réforme » de la social-­démocratie, déclarant que c’était particulièrement criminel car la Troisième Guerre ­mondiale est imminente. Mais en fait, ce que dénonce le GI, c’est la lutte pour démasquer devant la classe ouvrière les deux ailes de la social-­démocratie : les lèche-­bottes pro-­impérialistes et les conciliateurs pacifistes. En dénonçant notre appel à chasser les premiers, le GI aide les seconds. La véritable logique de ce genre de « pureté » sectaire, c’est d’arrêter de lutter contre la social-­démocratie, et notamment contre son aile gauche. Voilà le vrai crime, que la Troisième Guerre mondiale soit imminente ou non.

Alors que la guerre mondiale était véritablement imminente, Léon Trotsky a lutté inlassablement pour regrouper une Internationale révolutionnaire en luttant contre le stalinisme, le principal obstacle réformiste à l’époque. Il expliquait ceci :

« Nous n’avons ni ne pouvons avoir d’autres moyens ou outils, pour combattre la guerre, que l’organisation révolutionnaire de l’avant-­garde prolétarienne. L’obstacle principal à l’unification et à l’éducation de cette avant-­garde est aujourd’hui le soi-­disant Comintern. La lutte pour une nouvelle organisation révolutionnaire capable de résister à la guerre ne peut par conséquent consister en rien d’autre que la lutte contre le poison que Staline a introduit dans les rangs du mouvement ouvrier. Quiconque, sous le prétexte du danger de guerre, recommande d’arrêter notre guerre contre le stalinisme est en train de déserter en fait les tâches révolutionnaires, tout en se couvrant de grosses phrases sur la catastrophe mondiale. Nous n’avons rien de commun avec cette idée fondamentalement fausse. »

– « Une idée fausse » (octobre 1938)

Aujourd’hui en Allemagne, l’obstacle principal à l’unification de l’avant-­garde révolutionnaire est le poison du réfor­misme libéral et du pacifisme, qui est introduit dans le mouvement ouvrier par les sociaux-­démocrates. Les « socia­listes » comme le GI qui, sur le papier, prétendent être pour une direction révolutionnaire, mais qui ­dé­noncent la lutte pour purger le mouvement ouvrier des agents de l’impé­rialisme, aident objectivement à préserver la paix et l’unité avec les traîtres pro-­impérialistes qui ­di­rigent ­ac­tuellement la classe ouvrière. Tout en se couvrant de phrases ronflantes sur la « lutte de classe », ils renforcent en fait la subordination du prolétariat à ses exploiteurs en maintenant l’emprise des dirigeants sociaux-­chauvins sur le mouvement ouvrier.

« Défaitisme révolutionnaire » sur le papier, social-­chauvinisme dans les faits – voilà ce qui caractérise la ­position du GI sur la guerre en Ukraine.

La lutte pour la révolution ouvrière est posée

L’argument central que beaucoup de pseudo-­marxistes ont avancé contre la position de la LCI sur l’Ukraine, c’est que notre appel à transformer cette guerre réactionnaire en guerre civile révolutionnaire serait incorrect parce qu’en ce moment il n’y a pas de situation révolutionnaire en Ukraine ou en Russie. D’autres l’ont condamné en disant que c’est impossible et utopique, ce qui est en réalité une façon plus honnête de dire la même chose.

Dire qu’une telle perspective est utopique, c’est de la démoralisation pure et simple, et il suffit de regarder les faits pour s’en rendre compte. Les travailleurs russes et ukrai­niens se font attaquer et écraser chaque jour davantage par leur propre gouvernement pour soutenir l’effort de guerre. En Russie, les fils d’ouvrières sont renvoyés à leur mère dans des cer­cueils pour servir les ambitions des oligarques. En Ukraine, Zelensky et ses maîtres impé­rialistes ne veulent pas mettre fin au conflit parce que la guerre affaiblit la Russie, et si l’Ukraine doit être noyée dans une mer de sang, qu’il en soit ainsi – tout cela pour rejoindre l’UE et l’OTAN, ces bandes de vautours, et servir de main-d’œuvre bon marché aux ­entreprises allemandes, américaines et britanniques. Des deux côtés, on demande aux travailleurs en uniforme de se massacrer les uns les autres, alors qu’ils partagent une histoire commune en Union soviétique et ont souvent de la famille en commun. En même temps, la population ouvrière est mobi­lisée dans l’armée et entraînée à se servir des armes. Dans les pays impérialistes, les travailleurs sont saignés à blanc par ­l’inflation galopante et l’explosion des prix de l’énergie ; on leur explique qu’ils doivent encaisser des atteintes massives à leur niveau de vie au nom de la lutte pour la « li­berté » contre « l’autoritarisme ». Il faut être volontairement ­aveugle pour rejeter la possibilité que cela débouche sur une situation révolutionnaire.

L’histoire montre que les forces réactionnaires du natio­nalisme et du chauvinisme, qui empoisonnent temporairement l’esprit des travailleurs au début de la guerre, ne durent pas quand monte la pression. Nous ne pouvons pas savoir s’il en jaillira une révolution. Mais nous savons que ce qui empêche la colère des exploités d’être concentrée contre leurs exploiteurs, ce sont les dirigeants sociaux-­chauvins et réfor­mistes de la classe ouvrière, qui les trompent. Nous savons qu’existent objectivement tous les éléments nécessaires à une révolution, sauf un parti révolutionnaire ca­pable de la diriger. Et ce qui est certain, c’est que les partis révolutionnaires sont construits par ceux qui se battent pour la révolution, pas par ceux qui pensent que la révolution est impossible.

Pendant toute la Première Guerre mondiale, Lénine a été constamment attaqué par les sociaux-­chauvins avec exac­tement les mêmes arguments. « L’espoir d’une révolution s’est révélé illusoire ; or, il ne convient pas à un ­mar­xiste de défendre les illusions », dit le pseudo-­socialiste qui ne fait ainsi que justifier son passage dans le camp de la ­bourgeoisie. Lénine répondait ceci :

« Cette situation se maintiendra-­t-­elle encore longtemps et à quel point s’aggravera-­t-­elle ? Aboutira-­t-­elle à la révolution ? Nous l’ignorons, et nul ne peut le savoir. Seule ­l’expérience du progrès de l’état d’esprit révolutionnaire et du passage de la classe avancée, du prolétariat, à l’action révolutionnaire le prouvera. Il ne saurait être question en l’occurrence ni ­d’“illusions” en général, ni de leur effondrement, car aucun socia­liste ne s’est jamais et nulle part porté garant que la révolution serait engendrée précisément par la guerre présente (et non par la prochaine), par la situation révolutionnaire actuelle (et non par celle de demain). Il s’agit ici du devoir le plus incontestable et le plus essentiel de tous les socia­listes : le devoir de révéler aux masses l’existence d’une situation révolutionnaire, d’en expliquer l’ampleur et la profondeur, d’éveiller la conscience et l’énergie révolutionnaires du prolétariat, de l’aider à passer à l’action révolutionnaire et à créer des organisations conformes à la situation ­révolutionnaire pour travailler dans ce sens.

« […] Ne pas accomplir ce devoir, voilà en quoi se traduit la trahison des partis actuels, leur mort politique, l’abdication de leur rôle, leur passage aux côtés de la bourgeoisie. »

– « La faillite de la IIe Internationale » (1915)

Ce dont est coupable le GI, ainsi que tous les autres centristes et sociaux-­chauvins, c’est précisément de renoncer à ce devoir.